Confinement, j’ai peur de l’après

Le confinement, On a tous très hâte que ça se termine, très très hâte. Mais moi ça me fait peur.

Ceux qui ont la chance de ne pas travailler (car c’est une chance de ne pas être obligé.e.s de prendre des risques pour soi et sa famille) sont confiné.e.s. Chez soi, on galère en télétravail ou, quant on a de la chance, on profite de la suspension du temps pour lire et développer notre créativité. Au fond, on souffre tous. De la promiscuité avec nos camarades de confinement, de la solitude, de l’absence de nos ami.e.s dans nos vies alors qu’iels sont souvent bien plus à même de nous aider à surmonter cette épreuve que notre famille. Et on a peur. L’ambiance actuelle ne prête pas à rire, et si le soleil nous nargue en nous offrant le plus beau des printemps, sortir ou aller faire ses courses est un comportement à risques qui sabote le plaisir qu’on aurait à en profiter. La culpabilité nous ronge : est-ce que je peux passer à la fenêtre de ma pote la saluer ? Aurai-je du porter des gants quand j’ai fais mes courses ? Ai-je réellement besoin de cette bouteille de vin pour l’apéro visio du soir ? Et surtout, est-ce que mes voisins risquent d’appeler la police s’iels me voient promener mon chien trop souvent ?
On fait comme on peut pour s’occuper, on rejoint les réseaux d’entraide, on réfléchit aux actions d’après, on fait un gros travail de fond sur nos tâches et actions quotidiennes. C’est pas plus mal. Mais on sent la tension. Tout le monde est tendu comme un string et la moindre erreur de communication peut entrainer des dramas difficiles à désamorcer à distance.
On a tous très hâte que ça se termine, très très hâte.
Mais moi ça me fait peur.

Ce confinement nous montre plus que jamais à quel point la violence patriarcale est présente dans nos vies.

Je n’ai pas peur du virus. Je n’ai même pas peur des décisions politiques à venir, que j’attends liberticides as fuck et applaudies par les partisans de la pensée dominante. Je n’ai pas peur non plus pour mon avenir, petite privilégiée qui travaille dans l’informatique, la crise je la subirai mais au travers des autres principalement. Non. Ce qui me fait peur, plus encore que d’habitude, ce sont les hommes, les hommes cis hétérosexuels.
L’augmentation dramatique du nombre de violences conjugales en ce confinement me semble n’être qu’annonciatrice d’une vague de violences sexistes et sexuelles pour l’après. Entre 30 et 40% d’augmentation, en trois semaines. Que veulent dire ces chiffres exactement ? Que les hommes (je dirai « hommes » pour parler des hommes cis hétérosexuels dans la suite de mon texte) sont tellement incapables de gérer la frustration qu’ils se sentent en droit d’exprimer celle-ci par la violence envers et contre les femmes qui les entourent ? Et je parle des femmes, mais quid des enfants ? Incapables car trop jeunes de gérer leurs nombreuses frustrations, leurs besoins en divertissement incessants, fragiles, innocents et sans défense… Qui les protége ?
Des histoires sordides ont déjà surgis en à peine trois semaines ; deux femmes qui servaient d’esclaves sexuels étaient retenues par des hommes, un enfant est mort sous les coups de son père. Trois semaines.

Ce confinement nous montre plus que jamais à quel point la violence patriarcale est présente dans nos vies. Car derrière les masques qu’ils portent en société pour « être des mecs biens » se cachent un nombre incroyables d’hommes violents capables de brutaliser les êtres qu’ils ont sous la main juste parce qu’ils le peuvent. Ils se rient de nous quant on leur hurle que si 90% de femmes sont victimes à un moment de leur vie de violences sexistes ou sexuelles c’est que 90% des hommes sont coupables de ces violences. Ils se moquent de nos chiffres nous disant qu’on invente, qu’on ne peut pas faire d’extrapolation des stats comme ça. Nous les autres qui sommes si nul.le.s en maths. Mais regardez un peu ce qui se passe sous vos yeux. La violence est bien là partout, exactement comme on vous le dit, vous l’écrit, vous le hurle. Cette violence patriarcale est partout et aujourd’hui elle explose. Une crise aura suffit à révéler la vraie nature de nombre de ces « mecs bien » qui fustigent les féministes d’hystériques sous prétexte qu’eux n’ont jamais vu ou connu cette violence.
Vous, les mecs biens, me faites gerber. Et vous me faites peur.

Car c’est bien là où je veux en venir. Bien au chaud seule avec mon gros chien, je n’ai pas peur pour moi ou peur pour mon avenir. Non, j’ai peur pour toutes mes soeurs. Toutes. Car jusque là j’ai parlé des femmes sans inclusivité. Je n’oublie pas mes camarades transgenres. Je n’oublie pas les travailleuses du sexe. Je compte aussi les femmes racisées et les femmes handicapées. Toutes ces personnes sont inclues dans la définition de mes « soeurs », et j’ai peur pour elleux.
Ce que je vois sur Twitter, quand j’ai la force de me rendre dans les communautés qui ne sont pas les miennes me glace le sang. Quand nous ne sommes pas simplement rappelées a être sexy pour leur plaisir, ils vont jusqu’à appeler au viol sous couvert de leur frustration sexuelle. Quand nous ne subissons pas les discriminations systémiques, ils se servent du virus pour nous accuser de sa propagation.
Comment ne pas avoir peur ?
Nous seront tous et toutes heureux de pouvoir ressortir une fois le confinement terminé. Nous voudrons profiter de la vie, rentrer tard, profiter de l’été et de notre liberté revisitée. Nous épancherons nos frustrations en chopant tout ce qu’on a eu le temps de chauffer sur les sites de rencontres (ou pas !). Nous voudrons vivre ! Quoi de plus normal ? Nous serons tous et toutes près et bien décidés à croquer la vie à pleines dents voir à en abuser plus que de raison.
Et si on imagine facilement toute la population se retrouver pour aller danser, s’enivrer à la bière et créer des romances sur un coup de tête, la réalité sera bien différentes pour beaucoup, et surtout pour les femmes*.
Plus que jamais elles subiront la violence des hommes. Plus que jamais les personnes déjà victimes de discriminations le seront. Et toutes les agressions homophobes, transphobes, putophobes, racistes et sexistes seront légitimées par la pensée dominante et la culture du viol qui, comme toujours, prendra la défense de ces hommes car « ils auront besoin de se défouler après tout ce temps enfermés, c’est compréhensible ». Plus que jamais on dira aux victimes que c’était de leur faute, qu’iels n’auraient pas du sortir tard ou s’habiller si légèrement, que c’était a elleux de ne pas se mettre en danger.
Vous la sentez cette vague de danger qui s’annonce ? Vous la sentez la frustration des « mecs biens » leur faire ôter le dernier morceau de masque qui couvrait encore leur visage ? Vous sentez la société leur laisser croire qu’ils ont le droit de faire ce qui leur était interdit (bien plus moralement que légalement par ailleurs) sous prétexte qu’il faut « rattraper le temps » ? Vous les sentez venir, ces groupes de gars harcelants les femmes*, ivres à en vomir venir dire « aller ! C’est la fin du confinement, toi aussi tu en as envie ! » ? Ou encore ces mecs insultants en groupe les minorités juste pour savourer le sentiment de pouvoir et de contrôle que ça leur procure après une période liberticide ? Vous la sentez la solidarité masculine à son apogée de la justification du dégueulasse au delà de tout ce qui était déjà intolérable auparavant ?
Cela arrive, cela se prépare. Pour moi c’est une évidence et cette évidence est d’autant plus terrifiante qu’il ne semble y avoir rien à faire pour la retenir. Nous serons encore et plus que jamais victimes de l’oppression des hommes et de ce système patriarcal que nous dénonçons depuis des centaines d’années.
Tout le travail militant réalisé ces dernières années et avant. Toutes ces femmes* prenant des risques, subissant insultes, harcèlements, abus dans le but de vous prévenir, de vous expliquer, d’exiger un changement rapidement pour au moins essayer de limiter les violences à défaut de pouvoir les détruire à jamais… Tout ça pour en arriver là. Pour réaliser que vous vous en foutez toujours autant. Et que dès qu’on ne vous regarde plus ou dès que la société baisse son niveau de tolérance vous nous montrez à nouveau votre vrai visage de bouffons violents préférant frapper les plus faibles plutôt qu’aller voir un psy parce que « c’est pas viril de se soigner ».

Cette peur est vivace en moi. Elle me tiraille plus que les autres. Mais j’ose penser que tout espoir n’est pas perdu.

Que pouvons nous faire ? Redoubler de vigilance et d’adelphité. Plus que jamais être solidaires. Nous devons nous serrer les coudes, demander de l’aide a nos allié.e.s dès qu’une situation nous semble dangereuse. Intervenir au moindre doute. Crier, hurler voir insulter… Continuer, toujours plus fort et toujours plus violemment de prendre la parole et d’occuper l’espace. Et… malheureusement, faire attention aussi. Car c’est notre lot de femmes*. Nous devons aussi faire attention à nous, notre liberté est limitée. Et s’il ne me viendrait pas à l’esprit de dire à qui que ce soit de ne pas sortir à la fin du confinement car c’est trop dangereux, je ne peux m’empêcher de vous mettre en garde. Nous avons tous et toutes le droit de profiter de l’après mais il faut garder à l’esprit que pour certain.e.s cela voudra aussi dire se mettre en danger, plus encore que d’ordinaire.

Collectif Collages Feministes LYON